J'adore l'exploration urbaine.

D'habitude, je m'attaque à des bâtiments abandonnés, voire en ruines. Ou des lieux interdits au public, au milieu de la nuit, parce qu'il n'y a rien de plus excitant que de déjouer la sécurité et ressentir l'adrénaline du délit. Enfin, rien à voir avec l'endroit que j'ai choisi aujourd'hui. J'ai entendu parlé des cavernes fantômes sous les Underlandes un millier de fois. Plutôt, on m'en a parlé. Je crois pas à toutes ces histoires, c'est que du fake pour attirer le clic. Et c'est bien pour ça que je suis là.

Nogis n'est clairement pas aussi enthousiaste ; je l'oblige à voler en basse altitude, et avec l'espèce de brouillard qui stagne sur les cimetières, ses sens le trompent. Pour une girouette de son genre, c'est le mal de crâne assuré. Mais je lui laisse pas le choix, parce que j'ai besoin de lui pour filmer depuis les airs, pendant que j'embarque une caméra dans ma main.

Tout mon setup est prêt et j'allume ma lampe torche. Dans le doute, je m'engouffre sous ma capuche et resserre les lanières de mon sac à dos.
Hé, on sait jamais ! Y a eu de sales affaires ici, et.. y a peut-être des types chelous qui rôdent.
Q-Quoi ? Moi.. pas sereine ?

Rien ne m'a encore sauté à la gueule, dieu merci. C'est peut-être ce que je crains le plus, les Pokémon sauvages. Je gère déjà assez mal mes relations humaines, alors avec ces bestioles, je suis une cruche monumentale. Les Spectres sont sans doute les pires : imprévisibles, mauvais et taquins. Alors quand je crois voir des ombres traverser le faisceau de ma lampe, je préfère me dire que c'est mon imagination. Ouais, juste mon imagination.

Je savais parfaitement à quoi m'attendre en venant ici, et je savais d'autant mieux pourquoi mes abonnés tenaient à ce que j'explore ces lieux. Ça a intérêt à faire des vues, bordel.

J'arrive bientôt à un croisement de couloirs, et quelque chose capte immédiatement mon attention ; une énorme lueur jaillit sur les parois de la grotte. J'ai du mal à déterminer si c'est une info rassurante ou non, en tout cas ça m'intrigue.

Ça pouvait être n'importe quoi : un campeur - bon il aurait très mal choisi où planter sa tente, mais chacun ses goûts, une lanterne laissée là pour guider les explorateurs ou.. un piège. Qu'on se le dise, ça paraît trop beau pour être vrai, une lueur aussi chaude et réconfortante dans cet endroit qui est à l'exact opposé de cette définition. Mais ma curiosité me fera toujours défaut.

Je m'avance à tâtons, la caméra en avant, essayant de capter ce qu'il se trame avant de m'engager, mais la luminosité est trop intense et l'image sature. Du coup, je fais un pas de côté pour me sortir à moitié de ma cachette et.. bah, ça m'éclate les yeux.

▬ S-Ssibal !¹

Dans un réflexe, j'amène mon bras sur mon visage pour le couvrir, dans une grimace amère. Putain, ça me rappelle des mauvais souvenirs de sessions de jeux d'horreur. J'arrive à éteindre mes lumières à l'aveugle, et ma vision finit par s'adapter au bout de quelques secondes.

Comment dire.. je reste sans voix devant ce que je vois. Si bien que je ne bouge pas et j'admire, aussi confuse qu'impressionnée de la scène. Mon appareil  n'en rate pas une miette non plus. Tellement à fond dedans que je perçois que trop tard qu'un Chimpenfeu m'observe. Oups.

▬ Je te dérange ? Désolée de t'avoir interrompu.

J'ai pas l'air con à lui parler ? Et j'aime pas trop la façon dont il me fixe. Faut dire que j'arque un sourcil en ayant gardé mon rictus intact, le tout en hochant la tête sur le côté. Hm, ça doit le vexer. Avouons le, c'est tout sauf lisible son gribouillis là. Je comprends strictement pas ce que c'est sensé représenter.

▬ Il est chouette ton dessin !

En général, flatter l'égo permet d'éviter les ennuis, mais je reste sur mes gardes au cas où. Si on peut sauter la case du combat, ça m'arrange ; je viens ni pour ça, ni pour rameuter tout le réseau souterrain. Il doit sentir que je suis tendue, que je dirige ma main vers ma taille, prête à dégainer au besoin, ou à siffler Nogis.

Une petite seconde.. il s'est foutu de ma gueule là ? Si j'étais sur mes gardes plus tôt, elles se baissent en un clin d'œil. Ouais, peut être que je démarre au quart de tour, mais je laisserais pas un babouin incapable d'utiliser ses deux pieds me prendre de haut. Je bougonne dans le pli de ma capuche, et je me permets de le fusiller du regard. Ça va, j'ai juste été éblouie, j'ai pas sursauté !

Alors que j'aurais voulu avoir le temps d'en placer une autre, il commence à tout effacer dans une frénésie à deux doigts d'entraîner une procédure de filature en douce, parce que j'ai pas vraiment envie de prendre un coup perdu ou assumer son caprice d'artiste incompris. Il faut pourtant admettre que sa petite colère a quelque chose d'attendrissant. Drôle aussi. Et je lutte pour ne pas pouffer de rire. Finalement, y a peut être pire que moi en terme de réaction un poil excessive.

S'en suit un blanc, où je reste là et lui adresse un sourire dont je ne suis moi-même pas consciente dans l'immédiat. Quelque chose me pousse à tenter une approche, et j'ignore quoi. Je pose ma caméra au sol, en veillant à ce que l'objectif soit dirigé vers la paroi, ou devrais-je dire, le tableau de ce cher Chimpenfeu. Séparé d'un simple mètre, je me penche pour ramasser un morceau de charbon et me met à l'œuvre - bon.. on rigole on rigole mais je dessine pas mieux.

▬ Hé, regarde c'est toi !

Ouais, ce gros pâté que je pointe, c'est sa tête en train de bouder. Pour de la caricature, ça passe, non ?