Tout n'est pas que rage et chagrin, à Netovia. C'est un espoir derrière lequel court Livia, lorsqu'elle part en excursion. Laisser un instant derrière elle toutes ces choses qu'elle s'impose. La Famille. L'entreprise. Les Boréals. Toutes ces choses qui l'assaillent, les projets à mener à bien autant que les craintes de les voir échouée.

Parfois, il ne reste que Livia, seule face à elle-même. Ou pire, face à Suspiria. L'Unysienne prend sur elle pour la sortir de sa ball lorsqu'elle gare sa voiture à quelques mètres du grand viaduc qui constitue une bonne part de la Huitième Route.

Une belle œuvre, vue et décrite comme représentant de la force de l'Humain, et sa maîtrise des éléments. Il y a quelque chose d'inspirant à voir un tel ouvrage, pour qui cherche chaque jour à obtenir et garder le contrôle de chaque chose. Ne jamais être pris en défaut. Et tout le paradoxe de venir se vider la tête et éliminer les anxiétés en observant ce qu'il y a de plus imprévisible et libre : les pokémons oiseau.

Lorsqu'elle pose le pied sur la surface métallique du viaduc, Livia prend une grande inspiration et, déjà, observe le ciel crépusculaire dont les nuages annoncent une pluie imminente. L'atmosphère est lourde, et lui rappelle les orages des Northerres, sa maison. Elle aurait pu espérer un climat différent, vraiment dépaysant. Mais, enfin seule et libérée pour un instant de tout, jusqu'à sa propre identité, elle arrive à se détendre malgré tout. Suspiria part devant, sentant le poids des crispations de sa maîtresse s'alléger. "Susp…" Commence Livia avant de s'interrompre. Elle aussi a le droit à ses instants de liberté. Pour réparer ce lien qui n'a fait que subir les assauts du passé pendant dix ans, il lui faut prendre sur elle. La Malamandre a fait montre de sa bonne volonté, à son tour de faire de même.

Arrivée au premier tiers du grand ouvrage, Livia s'arrête, et s'appuie sur la barrière de métal. Elle regarde au loin, cherchant du regard l'envol des Cornèbres, une espèce dont elle ne s'est jamais souciée, mais qui nourrit l'atmosphère d'une drôle d'ambiance. Un instant, Suspiria monte à côté d'elle, en équilibre sur la rambarde, et plonge son regard dans celui de sa dresseuse. "Qu'est-ce que tu veux ?" Le ton de la Donna se fait plus doux que de coutume. Et la question, sincère, sans la moindre agressivité dont elle est pourtant coutumière. "Suspiria …" Elle approche la main du la Malamandre, doucement, hésitante et maladroite. Mais est interrompue par un bruit. Ou son imagination, peut-être.

Un Flamiaou. Pas exactement le genre de pokémon auquel Livia s'attend en errant sur un viaduc. "Tu t'es perdu ?" Lâche-t-elle immédiatement en le voyant se recroqueviller. Son ton est un peu plus sec qu'elle ne l'aurait voulu. Si elle n'est pas du genre à tomber en pâmoison face à toutes les créatures qui croisent son chemin, elle n'est pas dénuée de coeur pour autant. Et sa peur a l'air sincère. Suspiria la sent aussi, elle lui donne de l'audace. Assez pour approcher le pokémon sauvage sans crainte et lui faire une démonstration de ses compétences, crachant une petite flammèche devant elle, l'oeil joueur.

" Tu es transparente, Suspiria." Livia ne peut retenir un léger sourire. Sa Malamandre est en tout points son opposée lorsqu'il est question d'émotions. Digne, mais de plus en plus ouverte, là où la Ventimiglia se ferme un peu plus chaque jour. La voir amusée ainsi la force à se détendre. Livia pousse un long soupir, et fait mine de ne pas regarder dans la direction du Flamiaou. Le reptile, lui, ne cache pas son impatience et ne cesse de faire des aller-retours entre sa dresseuse et le Flamiaou. "C'est bon, tu peux jouer avec." Elle abandonne. Il lui faut bien se vider la tête aussi. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas eu l'occasion d'écouter ses instincts et ses envies ?

Alors que Livia se retourne pour s'appuyer contre la barrière, les bras croisés, se cachant de son intérêt pour la scène, Suspiria saute par dessus le Flamiaou pour atterrir de l'autre côté, sur le sol. "Mandre !" lance-t-elle en lui faisant signe de la suivre. Elle est une chasseuse hors-pair, elle ! Elle n'a simplement jamais l'occasion de faire démonstration de ses talents. Une nouvelle flammèche vient danser dans les airs, nouvelle manifestation de son ego. On ne se refait pas.

Sous le regard faussement indifférent de Livia, Suspiria se métamorphose. Elle redevient sauvage, et même un peu enfant. Plusieurs fois l'idée de la relâcher dans la nature lui a traversé l'esprit, et à la voir agir ainsi, peut-être que cette solution aurait été la bonne. Mais ce n'estjamais le bon moment. Il y a toujours quelque chose de douloureux. Un fond d'amertume derrière cet abandon.

Suspiria saute, puis rampe, se faufile, fait la démonstration de son agilité au chaton. Elle part en avant, s'amuse de voir les réflexes copieurs du Flamiaou. Arrivée de l'autre côté du viaduc, elle se faufile à travers la barrière opposée et s'y cache. Immobile, elle attend de voir arriver une volée de pokémons oiseaux qui s'apprêtent à survoler le grand pont en chantant. Elle fait un signe de la queue au Flamiaou. Regarde ! Tente-t-elle de lui faire comprendre par son geste alors qu'elle se recroqueville sur elle-même, prête à bondir.

Livia, cachant de moins en moins sa curiosité à son égard, est complètement absorbée par ses gestes. Elle garde une saine distance, se délecte de la performance que Suspiria s'apprête à lui offrir. Elle le sait, c'est aussi un peu pour elle, tout ça.

Alors que les oiseaux les survolent enfin, la Malamandre bondit dans les airs, prenant appui sur la barrière pour se projeter dans les airs. Tandis qu'elle approche d'un des traînards, une longue flammèche émane de sa bouche, perturbant le vol du pokémon en lui léchant les plumes, offrant à Suspiria une occasion de l'attraper dans sa gueule. Ce qu'elle fait, sans la moindre hésitation, avant de retomber sur le sol avec souplesse.

Fière, l'ego regonflé par sa propre performance, la Malamandre lâche délicatement le pokémon oiseau blessé - mais toujours vivant - aux pieds du Flamiaou. Comme une démonstration, une preuve, et un cadeau à la fois. "Mandre." Annonce-t-elle en se redressant lentement. C'est à son tour, à présent, de lui montrer ses talents. Patiente, Suspiria attend, un fond de bienveillance dans son regard pétillant. "Ne te vante pas, surtout, ça ferait mauvais genre !" S'exclame alors Livia, en riant. Des années plus tard, la Malamandre peut encore la surprendre. Et à en croire la réaction surprise du reptile, peut-être l'est-elle aussi un peu.

De loin, Livia observe le petit manège de Suspiria et de son nouvel apprenti. Peut-être est-ce là ce dont elle a besoin pour se sentir mieux. Une forme d'autorité sur un autre être vivant. La Donna est bien placée pour connaître ce sentiment jouissif d'ascendant. Un discret sourire aux lèvres, elle regarde le Flamiaou revenir vers elle, suivi d'une Suspiria bien fière d'elle.

Un instant, elle le regarde faire, de haut, et écoute ses incompréhensibles explications. Que faire de cet oiseau mort, au juste ? Ce n'est pas comme si elle en avait besoin, simplement envie. Elle retient à peine son dégoût face à l'état déplorable de la bête terrassée, puis s'accroupit devant le Flamiaou sauvage. "Eh bien. C'est une belle prise." Son regard passe à la Malamandre, dont le regard attentif semble chercher une forme de reconnaissance, ou de respect. Toute en retenue, néanmoins, l'air mauvais est toujours là. Le sourire de Livia disparaît, alors qu'elle approche un doigt de la bête morte à ses pieds. "C'est bien. Tu as de quoi être fier." Un bref regard vers Suspiria, à nouveau, alors que le silence se pose à nouveau.

"Mais je pense que tu devrais garder ton trophée. Et le rapporter aux tiens. Ce sera une preuve de ton talent, et peut-être aussi un bon souper. Tu ne penses pas ?" Son ton est plus doux, mais son expression reste sérieuse. La Malamandre approche, et vient se faufiler entre les jambes de la marraine alors qu'elle se relève. "J'espère que l'enseignement de Suspiria te sera profitable. Tu devindras certainement un fier chasseur, ça ne fait aucun doute." Loquace, un peu trop pour la situation. Mais il y a quelque chose d'attendrissant dans le caractère de ce pokémon dont elle reconnaît quelques qualités. L'ambition, déjà. Et l'indépendance.

"Je te laisse à ton exercice et ne te dérange pas plus. Suspiria ?" En s'éloignant un peu plus au sud du pont, elle fait signe à la Malamandre. Elle a assez joué avec ce chat. Qui sait ce qu'il pourrait interpréter ? Elle pourrait ne jamais se dépêtrer d'un pokémon sauvage qui s'amourache de Suspiria et ses grandes démonstrations. Pour s'assurer de ne pas perturber le pokémon, Livia ne lui accorde plus un regard en s'éloignant. Pour son pokémon, c'est un peu plus difficile, mais elle finit par prendre sur elle, et s'éloigner en rampant à toute vitesse pour rattraper le bon pas de sa dresseuse. "Mandre !"

Arrivée un peu plus loin, elle tente une nouvelle approche. "Je ne te savais pas si maternelle, Suspiria. Tu as besoin d'un compagnon ?" Le reptile détourne le regard. "Ce n'est pas un reproche. Je fais ce que je peux." A nouveau, la Malamandre tente de poser ses iris violines sur sa maîtresse, hésitante. Mais son attention est à nouveau attirée ailleurs.

Derrière Livia, et alors que celle-ci tente de comprendre le silence de Suspiria, un Yanma. Pokémon oubliable s'il en est, tout du moins pour la dresseuse qui a depuis bien longtemps perdu l'habitude d'arpenter les routes de Netovia. Un insecte, comme un autre, perdu et ne parvenant à attirer son attention que par le bruit qu'il crée de ses ailes, ainsi que son intrusion dans une conversation qui s'annonçait lourde entre son pokémon et elle.

"Quoi ?" Lâche la Donna avec agacement. Elle daigne se retourner après quelques secondes où la Malamandre, figée, observe sa nouvelle proie d'un regard mauvais. Le regard de Livia se pose finalement sur l'insecte muet, quasi immobile - s'il n'était pas forcé de voler pour rester ainsi face à elle. "Qu'est-ce que tu veux, toi ?" Sourcils froncés, les iris froids, elle l'observe un instant. "Si ce n'est pas important, je te conseille de t'éloigner, Suspiria a l'air d'humeur à chasser." D'un geste, elle retient la Malamandre derrière elle, passant son doigt contre son cou. "C'est toi qui vois." Si les pokémon oiseaux ont son affection par la liberté qu'ils inspirent, ce n'est pas le cas de toutes les créatures volantes. Et celle-ci a déjà trop pris de son attention.

Curieuse, elle observe alors les réactions de Suspiria un instant. Ses muscles sont contractés, son regard ne dévie pas. "Laisse lui une chance de s'éloigner, voyons. Tu as déjà fait un sort à un oiseau il n'y a même pas cinq minutes. Tu n'es pas tenue de décimer toute la faune de la région pour prouver ton talent, tu sais ?" Mais Livia est toujours aussi curieuse. Et Suspiria, avide d'attention, et d'exercice.

Alors elle s'élance. Produisant ce fouet enflammé qu'elle semble instinctivement user à chaque fois que ses pulsions mènent ses actes, elle attaque par deux fois le Yanma, échouant la première fois - perturbée par l'ordre de sa dresseuse, puis touchant la seconde. Elle jette quelques coups d'oeil à Livia, impatiente de voir une réaction. N'importe laquelle.

Suspiria est bien trop fière. Ce que Livia ne manque pas de soulever. "Tu es bien trop contente de toi. Tu vois bien que c'est un pauvre gros insecte. Il est pas râgoutant, mais il n'y a pas de quoi être fière." Un petit sourire se dessine cependant. Même dix ans après. Même si son visage se fait de plus en plus flou dans son esprit, elle le voit en elle. Son frère. En quelques pas, elle approche de la Malamandre et pose le bout de ses doigts sur sa tête pour une furtive caresse. Sa peau est étrangement douce. A quoi s'attendait-elle, exactement ?

Le reptile ferme les yeux, brièvement, mais les rouvre très vite pour guetter le départ de l'autre pokémon. "Ne crois pas que je vais te récompenser pour avoir attaqué un pokémon qui n'allait certainement rien faire d'autre que rester planté là." Il vaut mieux recadrer la situation immédiatement.

D'un coup d'oeil rapide, la Donna observe le viaduc. Personne ne semble s'y manifester. Alors peut-être suffirait-il simplement de s'éloigner un peu d'un coin où les pokémons semblent un peu trop curieux pour leur tranquillité. "Le prochain, tu ne l'attaqueras que si on est vraiment en danger, vu ?" Elle s'éloigne alors, Suspiria sur ses talons, cherchant un coin à la vue agréable, sans trop de cibles potentielles pour les pulsions de chasse de la Malamandre. Lui donner un peu de liberté, la laisser s'amuser, oui. Mais pas s'il lui faut récupérer les morceaux ensuite.