La nuit commençait à tomber, observée par le regard placide d'un poisson mort d'ennui. Un poisson aux yeux rouges, à la peau livide et aux doigts faisant tournoyer avec habilité un pinceau. Le couvre-feu de sa maison était strict, il allait donc devoir se coucher, pour que demain il soit en pleine forme pour ses cours d'auto-défense, puis pour une exposition, et enfin pour un dîner de famille comptant plus d'inconnus à table que de mets.

L'oiseau qui se contentait de sa cage avait envie d'en sortir, pas indéfiniment, mais pour simplement rendre à la toile de son esprit les couleurs qu'elle perds un peu plus dans ce décor éternel. Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus dur, un peu d'ingéniosité, une lame caché dans un pinceau truqué, la mémorisation des tours de gardes, un pot de vin plus doux que le miel. Beaucoup de préparation pour qu'un seul artiste quitte sa cage.

Pourquoi l'y avait-on envoyé, dans un premier lieu ? Il se souvenait vaguement d'un temps où il n'était pas autant occupé par un emploi du temps harassant, où il pouvait sortir, puis du jour au lendemain ou presque, il n'en avait plus eu le droit. Quelque chose qu'il avait fait, sans doutes, il se souvenait qu'au départ c'était une punition, mais quel genre de punition continues pendant si longtemps ?

Il secouait la tête, ce genre de pensé n'ayant pas sa place dans la tête d'un artiste, il les laissait de côté, souriant jusqu'aux pommettes et s'aventurant dans les rues pavées de la ville. Il s'attendait à ce que beaucoup plus de monde soient chez eux, après tout le couvre-feu était passé, non ? Ah, peut-être qu'ils ne le suivaient pas, oui ça paraissait plus logique, restait que la nuit tombait, les rues devenaient dangereuses la nuit, c'était ce qu'on lui avait toujours dit.

La première nuit où il avait fait le mur, il se tenait donc très à l'écart des foules, craintif, effrayé presque. Même les pokemons extérieurs étaient crasseux, comme les humains en dehors des murs de sa maison, lorsqu'il y pensait. C'était déroutant, si différent des visages qu'il pouvait voir lors des réunions de familles, mais en même temps bien plus vivant.

Lorsque l'on était les descendants de géants du textile, l'image était plus important que tout. Un sourire trop prononcé pouvait être pris comme un affront, trop bas aussi pouvait être considéré comme tel. Des gestes trop brusques, signes de mauvaise éducation, trop flegme et cela pouvait être pire. Un pli sur votre costume ? Impensable. Rien que d'être entrainée à l'auto-défense faisait de Boido un pariât.

Sans doutes que la plupart des habitants de sa maison, sa mère incluse, s'en irait d'ici sans demander leur reste, et en toute honnêteté, c'était ce qu'avait fait l'artiste blanc comme neige, rentrant en toute vitesse chez lui après une demi-heure passée sous le noir du ciel, frigorifié, appréhensif de si cette petite escapade sera un jour découverte, mais pour le coup inspiré.

Etonnamment, le sujet n'a jamais été mis sur la table, pour une raison que l'artiste ignorait. Il était pourtant certains d'avoir été débusqué, du moins s'il lisait correctement l'atmosphère. Mais rien, pas un regard lourd de sens à lui en faire se dresser la pilosité. Le peintre blanc ne comprenait pas pourquoi être sorti du moule que sa famille lui avait inculquer de copier en forme chaque relief ne provoquait par leur énervement, ou à minima leur agacement. Mais rien. Si le petit Teruna avait été élevé différemment, il serait qu'ils ne réagissaient pas par peur de sa propre réaction, mais pour lui qui n'a été approuvé que par l'inaction, cela faisait que le conforter dans l'idée qu'il avait le droit de sortir, la nuit tombée.

Ce n'était pas pour autant qu'il avait immédiatement recommencé pour autant, pas avant une paire de semaines sensée être passée à construire une confiance en soi suffisamment grande pour ne pas fuir au moindre ponchiot.
Ses sorties se multipliaient, passant d'une fois ou deux par mois à presque toutes les nuits en moins d'une année, si bien qu'il était devenu un oiseau de nuit plus que de jour, à défaut d'être un papillon social. Il restait poli, disait bonsoir et aurevoir, mais ne rester jamais bien longtemps dans les endroits fréquentés, à l'exception d'un endroit.

Le magasin, non parce qu'il y a plusieurs produit à l'intérieur, mais car c'est le seul que fréquente Boido. Ce magasin avec tout les pinceaux de différentes tailles, les peintures, même des bombes de peinture qui ce soir lui faisait très envies. Il ressortait de ce magasin avec non pas deux, mais trois et trois pinceaux, oh et avec un sourire également.

Il n'allait pas ramener tout ça chez lui, bien évidemment. Il comptait tout utilisé en une fois sur un seul mur. Un énorme mur blanc lui rappelant une toile où il comptait absolument tout utiliser. La rugosité de mur, la combination des bombes avec les pinceaux, les escabeaux qu'il avait ramené plus tôt, et de nombreux masques en tissu pour protéger ses poumons. Ces mois de sorties nocturnes l'avaient inspirés à crée une très, très grande œuvre, sur plusieurs mètres de large et bien plus de long.

Il avait les croquis entre ses mains, trois pinceaux entre les dents, un couteau pour creuser le mur dans sa poche arrière et à sa ceinture un sac contenant ses bombes noires, rouges et beiges. Regardant plusieurs fois sa toiles de pierre, la quadrillant mentalement, un petit détail lui revenait en tête, le dépitant. Il n'avait plus de place pour positionner sa source de lumière. Il était bien trop éloigné de la rue principale pour avoir un lampadaire à proximité, et même s'il avait ramenée une lampe de poche, il lui faudrait une autre personne pour l'éclairer, sans que le reflet dans le blanc du mur ne l'éblouisse.

"Quelle misère ..."

La solution à ses problèmes vint néanmoins bien rapidement, est-ce que le monde voulait qu'il complète son oeuvre ? Sans doutes, en tout cas, ce sepiatop tombait très bien. Sa connaissance des pokemons n'étant pas parfaite, Boido pouvait au moins observer que le petit être tentaculaire, tournant autour de lui avec une certaine curiosité, mais surtout avec l'envie de le faire tomber, sans la patience de continuer à le faire pendant plus d'une minute cependant. Alors il flottait juste là, brillant, persuadé dans sa petite tête que l'humain chercher à être dans le noir et que donc sa lumière le ferait partir.

Pourquoi pas, après tout. Cette petite rencontre lui ayant donné un sale halo à se débarrasser, elle lui permettait néanmoins maintenant de pouvoir laisser son art s'exprimer pleinement sur sa toile. Une heure, puis deux, au final, les tics de l'horloge s'enchainaient bien trop discrètement pour son esprit en effervescence pour qu'il remarque que le soleil allait se lever avant qu'il ne le fasse. Les bombes de peintures étaient vides, les pinceaux usées par le murs, mais la peinture était loin d'être finie. Des esquisses d'une grande œuvre, sans doutes la plus belle que le génie de l'art n'avait jamais faites, il ne pouvait la laisser en plan ainsi.

Il cherchait autour de lui, est-ce qu'il devrait dépenser le reste de son argent dans de la peinture et des pinceaux ? Il lui en fallait bien plus de tailles, plus des nuances également, il avait vu bien trop petit. Il descendait en vitesse de son escarbot, semblant être suivit par le pokemon flottant, lui qui voulait le faire tomber, le voilà le suivant ? Comme quoi, l'art réunissait les gens comme personnes, même les pokémons en étaient subjugués.

D'une soirée on était passés à trois, comprenant deux jours et quantités de peinture utilisés dans ce mur. Il avait faim, froid et soif, mais il arrivait presque au bout. Son état choquerait sans doutes sa famille, mais ils ne feront que le gronder, ce qu'il allait faire, c'était compléter une œuvre monumentale dans le secret de tous.

... Mais il lui manquait une couleur, que le magasin n'avait pas, qu'il n'avait même pas chez lui. Il lui manquait un rouge. Un rouge des yeux qui pourraient évoquer la puissance, la douceur, la vie, un rouge qu'on ne retrouverait que dans les yeux d'un ange. Boido avait déjà vu un tel rouge auparavant, lorsqu'il avait commencé la peinture, ce rouge qui avait provoqué son enfermement, qui lui rappelait la couleur de ses yeux, il ne pouvait pas se l'approprier chez n'importe qui, n'importe comment.

Son esprit tournait à tout allure, le sepiatop reculait en le voyant se ronger le doigt jusqu'à l'os. Il devait compléter son œuvre, qu'elle soit immortalisée. Après tout les coups de pinceau, de bombe, de couteau pour creuser les reliefs, tout le temps qu'il y avait investi, la laisser incomplète le détruirait. Sa jambe tremblait tant que son pieds tapait à répétition sur le béton, son champ de vision se réduisait, le sang dans ses temps brouillait l'arrivée d'un autre homme, son esprit s'embrumer.

Il avait été interdit de chercher à obtenir cette couleur de nouveau, mais il en avait désespérément besoin. Il était dans un choix cornélien, ramené à lui que par les secousses du propriétaire du mur, de ce qu'il comprenait par les quelques bribes de mots qui parvenaient à son cerveau. Ce mur appartenait à quelqu'un ?Lorsqu'il avait fait du repérage, il n'y avait pourtant personne à l'intérieur et depuis un moment. Peut-être était-ce sa maison secondaire, ou juste une propriété qu'il avait et comptait revendre ... Qu'est-ce que cela pouvait le concerner ?

Relevant les yeux, il croisait ceux du râleur, du enragé même, il avait les yeux injectés de sang, le visage rouge, les nerfs gonflés ... C'était vraiment injuste de devoir choisir.

...

Combien d'années cela faisait, depuis qu'il avait complété son œuvre ? Deux ? Trois ? Il avait entendu des rumeurs, comme quoi une pluie diluvienne avait rendu la peinture plus, glauque. Le visage d'ange géant, couvrant de ses ailes les centaines de visage qu'avait peint les doigts de l'artiste blanc avait perdu le rouge de ses yeux, faisant dévaler la peinture, "peinture", qu'avait utiliser Boido, le transformant en larmes de sang. Il en allait de même pour tout les yeux des visages qu'il avait fait, tout ça dans le dos de l'artiste originel. Cela l'enrageait, intérieurement, mais que pouvait-il y faire.

"Revers, peux-tu me donner un nouvel angle de lumière ?"

Revers, c'était ainsi qu'il avait nommé le pokemon le suivant sans s'arrêter, au point qu'il l'ait rejoins en temps que partenaire. Pourquoi il était resté avec lui, cela ne lui était pas très clair, en même temps, "bloup bloup" n'était pas très compréhensif. Immergeant la tête de son pinceau dans le plus beau des rouges, il colorait des pétales de rose, sur un bouquet remplaçant la tête d'une jeune mariée, tenant sa tête à la place du bouquet et affichant le sourire d'une femme qui allait passer sa vie heureuse. Ou qui aurait du, la passer heureuse, mais à la place, elle donnait de sa personne pour compléter ce "tag".

"Jolie peinture."

Sursautant, le peintre regardait derrière soi, un courant d'air frais remontant sa colonne, dont l'origine semblait être cet homme et son pokemon. Ce mystérieux inconnu ricanait à la réaction du meurtrier, un rire qui ne le poussait que plus sur ses gardes, même lorsqu'il jetait au sol un paquets de photo. Il ne lui avait fallu qu'un seul regard pour reconnaitre ses œuvres et faire fleurir son esprit de questions.

"Que dirais-tu d'avoir un publique, et bien évidemment, un investissement ?"

C'était à cause de cette rencontre que l'artiste blanc se retrouvait dans la neige, serrant contre ses vêtements son sepiatop et cherchant du regard un abri. Une fois trouvé, il s'affaissait contre les parois de la grotte, son souffle si différent de la température extérieur qu'il ressemblait à un nuage. Il ne devait pas s'endormir, se répétait-il, recroquevillé sur lui même et le regard s'hasardant sur les murs ... Serait-ce de la peinture ? Il n'en reconnaissait pas la couleur, plus pure que l'or et plus froide  que la neige. Pris d'une énergie nouvelle, il s'avançait dans la grotte, le froid se faisant de plus en plus intense.

Descendant les escaliers forgés dans le glacier, les peintures s'étendaient, racontés l'avènement de l'ère glacière, son maitre, sa fin, et lorsqu'il arrivait devant l'autel, sa renaissance. Son oeil expert le comprenait, c'était de très, très anciennes peintures, préservées dans un hiver éternel, loin des intempéries, des vivants. C'était le musée parfait, rien en des centaines d'années n'avaient pu abimer.

C'était là la meilleur preuve d'amour envers l'art, envers la vie même d'une manière, que de la conserver ainsi. Si jamais il n'avait entendu le nom de Kyurem auparavant, il pouvait crier maintenant qu'il lui était un fidèle servant. Il approchait de l'autel, transit, y offrant autant de rouge que le dieu du froid le désirait, regardant avec fascination la plus belle des couleurs prendre la forme d'un crystal.