Algatia. L’endroit le plus proche de l’espace, dit-on. Ville des opportunités pour certains. Ville des convenances et du mépris pour d’autres. Victoria est de ceux-là.

Pourtant tout semblait bien parti pour elle. Famille aisée. Son père était un grand industriel ambitieux, sa mère avocate. La famille n’avait pas à se plaindre assurément. Une belle et immense maison, un grand jardin. Les plus beaux vêtements. Des beaux voyages à travers le monde. Des magnifiques spectacles. Des écoles cotées. Mais toute médaille a son revers, et celui de sa famille n’était pas très reluisant.

Il y avait les repas où elle ne prononçait pas un mot tant ses parents monopolisaient la parole, ou parfois ne prononçaient pas un mot parce qu'ils étaient préoccupés. Il y avait les longs après-midis passés sous la surveillance d’une baby-sitter. Il y avait les critiques sur ses carnets de notes dés qu’il y avait la moindre ombre d’une faiblesse dans telle matière. Il y avait les professeurs particuliers pour “corriger ses faiblesses scolaires”. Il y avait cette pression d’être parfaite et de multiplier les activités extrascolaires. La gymnastique, le piano, la natation. Des cours de bonne manière aussi. Et elle ne mouftait pas - parce qu’elle ne voulait pas que ses parents soient déçus, voire pire, fâchés.

Il y avait enfin l’insidieuse solitude. Solitude à la maison tout d’abord (et elle aurait tout donné pour avoir un frère ou une sœur), solitude à l’école ensuite. Etait-ce à cause de la timidité de Victoria ? Peut-être. Etait-ce parce qu’elle n’avait pas le temps de sociabiliser parce que ça la distrayait de sa quête effrénée de perfection ? Etait-ce la faute de l’ambiance élitiste et prétentieuse de l’école ? Tout cela à la fois. Les enfants des employés de son père ne valaient guère mieux. Des enfants gâtés, prétentieux, avec qui elle n’avait pas grand-chose en commun. Elle...Elle préférait rester sur son lit à dessiner en écoutant de la musique. En flânant dans le jardin. Ou en regardant la télévision. Elle regardait parfois, rêveuse, les chaînes de télévision qui retransmettaient les ligues pokémon.

Mais il ne fallait pas rêver. Jamais elle ne serait un de ces enfants qui parcourent le monde à l’âge de dix ans, à la recherche des badges. Et ce, même si c’était chose courante et acceptée à Hoenn. Jamais, jamais, ses parents ne laisseraient leur précieuse fille battre la campagne. Elle était surveillée. Et puis pourquoi le ferait-elle, tu es heureuse avec papa et maman pas vrai Victoria ? fut leur argumentaire pour la faire culpabiliser lorsqu’elle osa dire une fois que ça devait être intéressant. Mais la petite fille étouffait. Même dans le jardin. Même en vacances. La fission était proche.

L’année de ses quatorze ans, les choses changèrent. Ce fut l’année où Victoria trouva un Osselait abandonné alors qu’elle rentrait de la gymnastique, et le ramena à la maison, le cachant dans le jardin dans un petit abri qu’elle construisit elle-même. Jamais elle n’en toucha mot à ses parents (encore faudrait-il qu’elle les voit), et pourtant..ils finirent par découvrir ce précieux secret un jour où ils déjeunaient dehors.

Elle se rappellera toute sa vie des hurlements qu’elle entendit, des cris d’Aligatueur au fond de son marais. Mais pour la première fois de sa vie - elle leur tint tête, et leur jura que c’était juste un ami parce qu’elle se sentait si seule en classe, et non jamais elle n’irait parcourir le monde à la recherche des badges. Elle avait appris sa leçon, toujours baisser la tête, faire des compromis . Curieusement, cela marcha. Tant qu' Osselait restait dans le jardin et ne mettait pas ses (sales, sembla penser sa mère) pattes sur les précieux tapis de la maison, il n’y avait aucun souci. Enfin. C’était toléré. Mais est-ce que ses parents s’en préoccupaient vraiment au fond, à part dans la mesure où ça pouvait impacter leur réputation ? Pas vraiment. Peut-être auraient-ils préféré qu’elle sympathise avec un pokémon plus rare- un pokémon qu'ils lui auraient procurés puisqu'ils en avaient les moyens ? Plus prestigieux qu’un pokemon orphelin et abandonné ? C’est ce qu’ils semblèrent lui sous-entendre, quelques jours plus tard. Ca, et le fait qu’elle ne leur ait rien dit. Mais pourquoi devrait-elle leur dire quoi que ce soit?

Et les années passèrent.
Elle n’était plus triste lorsqu’elle était seule, juste blasée.
Et toute vague sympathie qu’elle avait pu avoir auparavant pour ses parents, tout désir de leur plaire, de ne pas les décevoir - tout cela avait disparu. Elle ne maintenait guère ses notes que par habitude, que parce qu’elle avait pris goût aux honneurs. Pour le reste..Elle ne s’opposait jamais frontalement, par contre elle avait pris l’habitude d’être terriblement moqueuse et sarcastique.

Son 18ème anniversaire arriva enfin.
Elle laissa juste une lettre, une lettre qui expliquait qu’elle partait parce qu’elle haïssait sa vie, qu’elle haïssait ses parents, qu’elle haïssait son milieu et qu’il valait mieux qu’ils n’essayent pas de la retrouver. Ce n’était pas comme si elle allait hériter de l’entreprise de son géniteur de toute façon, puisque c’était une fille.
Elle s’acheta un nouveau téléphone, une pokéball que Osselait occupa désormais, se teignit les cheveux en argenté, partit pour Netovia dont elle avait commencé à entendre parler les années précédentes et commença sa nouvelle vie. Ce fut difficile, au début. Mais elle parvint à trouver un petit appartement et un job de serveuse à Smokesbay, dans un quartier beaucoup plus populaire où ses parents n’auraient jamais mis les pieds. La vie n’était pas facile non, mais tellement plus enrichissante.
Son aventure pouvait enfin commencer.