T'es né lors d'une nuit d'orage il y a vingt-deux ans de ça, on peut pas dire que tu t'en souviennes et pourtant on te l'a tellement de fois racontée que t'as son déroulé gravé dans ta mémoire. Le ciel était strié d'éclairs depuis des heures déjà dans les plaines des Northerres et si ce temps n'avait rien d'exceptionnel pour la région il n'arrangeait guère tes parents ce jour-là. Il fallait partir, prendre la voiture pour se rendre à Northëra, ta mère n'en pouvait plus d'attendre, tu arrivais. Ton père avait poussé la porte d'entrée, près à courir vers la voiture pour l'avancer au plus près de la porte. A peine avait-il fait trois mètres que la foudre était tombée, juste entre lui et la voiture. Un éclair d'une rare violence, même pour les gens du coin, ça l'avait repoussé en arrière et s'il s'en était sorti indemne c'est en tremblant et en marche arrière, les fesses au sol qu'il avait regagné la maison. Depuis la maison, ta grand-mère avait vu la voiture briller, l'électricité circulant sur sa carrosserie, et chaque fois qu'elle le raconte tu sens cette petite joie en elle, celle qu'elle a due ressentir à ce moment-là, elle qui ne voulait pas que tu naisses à l'hôpital. Et puis ta mère avait crié, ton père avait repris ses esprits et le branle-bas de combat était lancé, cette fois tu étais là et c'est finalement sans encombre que tu vins au monde dans une baignoire, entouré de visages aimants et souriants alors qu'enfin l'orage semblait se calmer.

Cette histoire c'est la tienne, ou son commencement, mais elle s'est inscrite dans le folklore local, þrumuveðurson, le fils de l'orage, c'est ainsi que l'on te connaît dans les parages. Tu ne t'es jamais lassé d'entendre ta grand-mère te conter ces légendes, d'aller écouter la vieille Ölga aussi, figure locale qui traverse les générations, tu ne connais pas son secret mais il y a toujours une vieille Ölga, non loin de l'arène électrique, pour conter à quiconque veut l'écouter des histoires d'un autre temps. Kyurem est peu à peu devenu ton héros et tu rêvais d'un jour pouvoir l'observer, mais au-dessus de toi le ciel s'assombrissait. Tu avais neuf ans, et un petit frère de deux ans ton cadet quand tes parents décidèrent de déménager à Smokebay, poussés par des tensions grandissantes avec tes grands-parents, avec ta grand-mère surtout et des divergences d'opinion de plus en plus marquées. Ta grand-mère était âgée certes, et comme beaucoup d'autres se sentait dépassée par l'afflux de nouvelles technologies, mais de l'avis de tes parents son refus catégorique de voir le monde évoluer était malsain, son discours virait à l'extrémisme et ils voulaient vous éloigner ton frère et toi de cette ambiance néfaste.

Tu grandis donc à Smokebay, en parfait petit citadin, regrettant au fond de toi cette vie plus simple, plus belle, que vous aviez dans les Northerres mais tu t'y es adapté, sans jamais te plaindre, sans jamais en vouloir à quiconque, profitant des vacances où tu pouvais retourner sur cette terre qui t'avais vu naître, t'y ressourcer, remplir à nouveau ton esprit de ces histoires que tu chérissais, t'imaginant chevalier, pourfendeur de monstres imaginaires cherchant à s'en prendre à Kyurem. De héros il devint religion et en grandissant tu comprenais davantage le sens des mots de tes grands-parents, tu y voyais un fond de vérité, même si la technologie faisait partie intégrante de ta vie. Tu comprenais leurs inquiétudes et si tu tentais de les rassurer tu ne pouvais pas forcément le faire en totalité.

Tu avais seize ans quand ton père obtint une promotion, une promotion et une mutation, dans le sud de Galar. Le changement fut difficile pour toi, quitter tes amis, quitter ta ville, savoir que tu ne retournerais plus voir tes grands-parents aussi souvent, mais une fois de plus tu t'y adaptas, démontrant que ton caractère souple et facile à vivre n'était pas qu'une légende. Ce fut moins le cas de ton petit frère et l'aider à oublier Netovia occupa au début une grande partie de tes journées. Si tu étais le calme il était la tempête, actif, hyper actif peut-être il avait besoin de bouger sans cesse et les grandes espaces des Northerres que vous connaissiez si bien lui manquait. Galar regorgeait pourtant d'espaces à découvrir et avec le temps vous apprirent à débusquer les lieux un peu reculés dans lesquels il vous semblait retrouver un peu de votre liberté.

C'est environ un an après votre déménagement que ta mère t'appris un jour le décès de ton grand-père. Bien sûr tu savais que cela pouvait arriver mais ça n'en fut pas moins un choc d'une rare violence, une partie de ton monde s'écroulait et tu partis durant de longues heures la maison errant sur ces terres qui te semblaient aujourd'hui encore plus étrangères. Armé de ton carnet à dessin tu t'assis sous un arbre et les pages se noircirent de traits que des larmes venaient parfois étaler. Tu ne savais pas vraiment ce que tu dessinais, le paysage, ce qu'il y avait devant toi, ça n'importait pas, seul le geste comptait, cette manière d'évacuer ta tristesse sur le papier. A plusieurs reprises pourtant ta main quittas le papier pour venir chasser un insecte qui te chatouillait l'oreille, d'un geste là, sans y prendre garde. Jusqu'au moment où tu finis par un mouvement plus brusque que les précédents, énervé peut-être par ce visiteur insolent. Le bruit que l'insecte fit en tapant l'arbre derrière toi n'avait rien d'insectoïde, c'était un bruit métallique et tu te retournas d'un bloc pour découvrir un Monorpale à moitié assommé. Inquiet tu te confondis en excuses avant de passer deux ou trois heures à lui montrer tes dessins, à lui parler de ton grand-père, de Netovia, des Northerres. A lui parler de Kyurem aussi et de tes rêves de chevalier que tu avais plus jeune. Le pokémon te rendit le sourire finalement, te rendit la force de croire, de ne pas oublier qui tu étais, d'où tu venais. Tu savais qu'il n'était pas venu là par hasard, que s'il t'avait trouvé aujourd'hui ça n'avait rien d'une coïncidence, Kyurem et ton grand-père avaient tout deux leur part de responsabilité, tu le savais, et depuis ce jour Riddari ne t'a plus quitté.

Après un séjour de quelques semaines à Northëra pour l'enterrement de ton aïeul la vie avait repris son cours pour toi, à Galar, ta scolarité se poursuivait sans heurts et tu grandissais, gagnant en indépendance, gagnant facilement la confiance de tes parents lorsqu'il s'agissait de sortir, d'agir comme tu le voulais, et s'ils étaient trop pris pour retourner à Netovia quand vint l'été tu pris sur toi d'aller en embarquant ton frère avec toi. Ta grand-mère avait changé, tu ne savais pas si la mort de son mari l'affectait plus que ce qu'elle ne l'avouerait jamais ou s'il y avait autre chose. L'été se passa un peu bizarrement, tu sentais qu'il y avait des non dits, tu sentais que peut-être vous dérangiez qu'il y avait des choses que ta grand-mère voulait vous cacher. Tu n'étais pas du genre à insister, mais tu étais curieux, curieux et intelligent, suffisamment grand maintenant pour te faire tes propres idées. Alors tu as fouiné, sans impliquer ton frère là-dedans, en silence et discrètement, tu as passé l'été à amasser les indices et quand est venu le moment de retourner à Galar tu es partis sans rien dévoiler de tes pensées. Ta grand-mère pensait sans doute ses secrets bien gardés mais il y a des bribes de conversation que tu avais capté, une organisation qui avait été mentionné, et tu étais bien décidé à ne pas oublier.

Un premier diplôme en poche tes parents tentèrent de te pousser vers les métiers de l'ingénierie et si ce n'était pas vraiment ce qui te passionnait tu essayas néanmoins, pas convaincu mais studieux malgré tout, c'était un trait de ta personnalité qui n'était probablement pas près de changer. En marge de ta scolarité tu passais beaucoup de temps avec ton Monorpale, à l'entraîner, ou parfois juste à errer vous arrêtant lorsque tu détectais un instant à capturer sur ce carnet à dessin qui ne te quittait jamais. Tu étais dur parfois avec lui, tu voulais le voir plus fort, tu voulais vous voir plus fort, et si physiquement ce n'était pas forcément quelque chose qui se voyait, mentalement tu te développais, tu te façonnais aux souvenirs de cette contrée dans laquelle bientôt tu retournerais, tu l'avais décidé.

Tu avais fini par assembler les morceaux de ton côté et lorsque tu retournas en Netovia pour un nouvel été tu n'emmenas pas cette fois ton petit frère avec toi, tu te présentas chez ta grand-mère en lui disant que tu savais, que tu savais qu'il y avait quelque chose qui l'avait changée, que son regard n'était plus le même qu'autrefois et qu'il y avait cette fougue un peu sauvage que tu aimais y voir mais que tu ne reconnaissais pas. Un sourire passa sur son visage et elle te raconta, elle te parla de ce groupe, formé depuis environ trois ans maintenant, qui regroupait des gens qui la comprenait, des gens qui voyaient Netovia comme elle l'avait toujours vu, qui voyait comme elle les dangers que toute cette technologie apportait, et tandis qu'elle te parlait des Boréals son regard brillait. Elle te parla de Kyurem et tu étais suspendu à ses lèvres, convaincu, tu voyais toi aussi qu'il était nécessaire d'agir, tu voyais que dans ta ville de Galar peu à peu tu te perdais, peu à peu tu t'éteignais. Elle te parla de tout ça durant deux mois et pourtant elle refusa qu'à la fin de l'été tu restes là, elle refusa que tu rejoignes toi aussi les boréals et te chassa presque alors que le mois de septembre approchait.

C'est un rien déprimé que tu rentras chez toi cet année là et peut-être cette déception te poussa-t-elle à repenser à certains choix. Tu te décidas enfin à changer de voix, à admettre que l'ingénierie n'était pas ce qui te motivait et à partir enfin vers un cursus artistique. Et s'il s'agissait dessiner sur un ordinateur tu n'étais pas non plus un extrémiste, la technologie n'était pas le monstre que ta grand-mère voyait, tu avais grandi avec et ne pouvait pas véritablement t'en penser, mais tu étais conscient de son impact, sur le monde, sur vos vies, tu étais conscient de sa présence de plus en plus marquée, du fait qu'elle contrôlait parfois vos vies davantage que vous ne la contrôliez. De ça tu ne voulais pas et quand à nouveau l'été arriva tu dis au revoir à tes parents devant l'avion qui devait t'emmener à Netovia. Les négociations avaient été longues mais ils avaient fini par accepter que tu retournes là-bas, définitivement, tu t'étais inscrit à l'université de Northëra pour la rentrée et tu avais tout l'été pour te trouver un appartement et t'installer. Ta grand-mère t'avais parlé d'une sorte de rituel pour faire partie des Boréal et si tu ne savais pas exactement de quoi il s'agissait tu t'étais préparé durant cette année et t'avais préparé Riddari aussi, te montrant plus exigeant encore que d'ordinaire, vous aviez un véritable but désormais et tu refusais de rester en plan comme l'été dernier.

Quand tu arrivas chez ta grand-mère tu t'attendais à ce qu'elle réprouve ton choix mais c'est avec des larmes au coin des yeux qu'elle t'accueillit, t'étreignant dans ses bras avec une force insoupçonnée. Tu avais choisis, tu avais décidé, contre son avis, contre celui de tes parents, tu t'étais affirmé, elle n'attendait que ça pour enfin t'introduire auprès des siens, dans cette grande famille dont tu rêvais depuis maintenant une année. Tu découvris que les boréals étaient bien plus que ce que tu pensais, tu découvris leurs activités et si ça t'étonnas au départ, t'effrayas sans doute aussi, ça ne te fit pas reculer dans ta décision de les aider. Tu n'étais pas un assassin, pas un tueur assoiffé de sang, la mort était loin de te laisser de marbre et ne le ferait probablement jamais, mais à les écouter tu compris la nécessité de leurs gestes désespérés. Et si tu n'étais pas celui qui tuerait, tu pouvais en revanche être celui qui planifiait, qui dans l'ombre organisait, qui réfléchissait. Tu avais toujours eu ce don de te fondre dans la masse et être un étudiant sans histoire t'ouvrait de nombreuses portes que tu n'hésiterais pas à enfoncer, il le fallait.

Cela fait bientôt quatre mois maintenant que tu as passé le rituel et qu'avec Riddari tu es enfin devenu officiellement un chevalier de Kyurem. Tu te sens tellement honoré d'être là, de faire partie de ce tout, d'être ce disciple de Kyurem et c'est avec fierté que tu portes en permanence sous ton pull cet éclat gelé que tu as taillé pour lui donner la forme d'une mini épée. Bientôt quatre mois et parfois tu te dis avec le sourire qu'il y a à la fois tout et rien qui a changé, tu es un étudiant des plus normal, tu te découvre de nouveaux amis, t'en retrouves des anciens, tu t'es trouvé un appart en ville et rien ne laisse soupçonner que suivre des cours n'est pas ta seule activité. Tu découvres ce que veut dire être un boréal peu à peu, tu essayes de te faire une place parmi eux, de leur être utile et si ta grand-mère et toi n'êtes clairement pas les meilleurs combattants tu comptes bien faire parler tes autres talents.