Les rues de Smokebay se ressemblent toutes. Ou bien est-ce malhonnête de s'en plaindre quand on a grandi dans la forêt ? C'est pourtant les raisons avancées par tous ces gens qui se perdent et viennent trouver refuge chez Myrra de la Forêt des Légendes. Non, ce n'est pas si malhonnête. Pour Lilja, toutes ces rues se ressemblent.

Elles se ressemblent encore plus quand, à bout de souffle, elle traverse chaque artère, en quête de la facade familière et rassurante de la boutique de Loreleï. Elle aurait pu y arriver plus apaisée, plus calme. Moins terrifiée. Moins poursuivie aussi. Les esprits ne sont pas de si bonne humeur. Ou bien peut-être est-ce son franc parler qui l'a mise dans de beaux draps. Certaines personnes peuvent se montrer soupe-au-lait lorsqu'ils ne sont pas satisfaits des services de Lilja, ou de ses commentaires.

L'homme qui la poursuit dans les rues depuis quelques longues minutes, un trentenaire un peu débraillé, maigrichon et mal rasé, c'est un client potentiel. Un type ramené par le bouche à oreille, intéressé par certaines de ses infusions maison, à la recherche de quelque chose pour "booster sa virilité", lui a-t-il glissé du bout des lèvres. Peut-être que le questionner sur ladite virilité en lui demandant de quoi il voulait parler et ce qu'il attendait d'une simple tisane n'était pas la meilleure méthode. Vexé, enragé, il n'a pas su trouver d'autre réponse que les menaces.

Ce rendez-vous n'était même pas supposé avoir lieu. Lilja ne passe pas souvent par Smokebay sans raison et, cette fois, ce n'est que pour la boutique de Loreleï. Tristesse de constater qu'elle n'est pas le seul cadeau prêt à être offert à cette vieille connaissance.

"Mais ! Qu'est-ce que vous voulez ! Reposez vous, vous allez vous fatiguer !" Lance-t-elle, haletante, en disparaissant à un croisement. Bon sang, où est cette boutique ? Son sens de l'orientation n'est plus si efficace en ville, et sa mémoire, défaillante. Alors qu'elle arrive enfin à se reposer quelques secondes, Minuit apparaît des hauteurs pour se poser sur son épaule. Il est tout excité, ses yeux écarquillés trahissant un sentiment de fierté qu'il est bien incapable de cacher. "Minuit ? Qu'est-ce que tu as fait ?" Questionne Lilja à voix basse en reprenant sa route d'un bon pas. Sans doute quelque chose qui explique son avance. Il y a encore du mouvement dans la grand rue. Mieux vaut se dépêcher. Forçant l'oiseau à reprendre son envol, plus bas cette fois, elle tente une nouvelle route.

Un bruit. Une voix. Vite ! Prendre le premier croisement, la première porte, pourvu qu'il ne la rattrape pas. L'adrénaline, l'excitation de la poursuite, il y a quelque chose d'amusant là-dedans. Instinctivement, sans vraiment regarder où elle met les mains, Lilja pousse la première porte qui lui passe sous les doigts et se laisse happer à l'intérieur de l'établissement. Elle perd presque l'équilibre lorsqu'elle sent le changement de sol, quittant les pavés inégaux de la rue. "Woh !" Souffle-t-elle en se rattrapant tout juste, avant de sentir enfin les odeurs familières de la boutique. "Eh bien, Minuit, on dirait que les esprits sont avec moi, finalement." Le Brindibou fait un rapide tour autour de la tête de sa dresseuse, laquelle passe machinalement sa main sur ses cheveux, comme pour remettre en place une des nombreuses mèches folles enfuies de leur chignon lors de la course.

Dans un coin de son champ de vision, Lilja perçoit une ombre, rapide, massive, et se tend à nouveau. Elle se précipite, ignorant les éventuels clients ou étagères, et se précipite derrière le premier meuble un peu imposant qui se présente. Accroupie, elle soupire, puis lève les yeux, un sourire doux sur les lèvres, un regard vaguement absent. "Woouh ! Bonjour !"