Tu es bien née Kælinn, dans une famille aisée ou tu n'as jamais manquée de rien, deuxième enfant tu venais compléter ce qu'on pourrait appeler la famille parfaite, un garçon et une fille, le choix rêvé. Mais peut-être que tu aurais préféré naître ailleurs finalement, dans une famille où les attentes placées sur tes encore frêles épaules n'étaient pas aussi lourdes à porter. Tu ne manquais de rien mais on te demandait beaucoup, on te demandait surtout de ne pas être toi-même, de freiner cette impulsivité qui bouillonnait en toi, de suivre ce chemin qui avait déjà été tracé pour toi. Ton père était un riche industriel, un homme d'affaire à la tête d'une entreprise pharmaceutique comme il aurait pu être à la tête d'une fabrique automobile. Le produit importait peu, seule la rentabilité comptait et que l'on vende des pilules ou des sachets de thé n'avait finalement à ses yeux aucun intérêt. C'est un état d'esprit que tu n'as jamais véritablement compris, toi tu voulais... tu ne savais pas vraiment au fond, faire quelque chose de bien ? Faire quelque chose pour que ce monde soit un peu plus sympa et pas seulement remplis d'individualités égocentriques toujours en train de ramener la couverture à elles ? T'étais intrépide Kælinn, impulsive, tu n'hésitais pas à élever la voix, à défendre ce que tu pensais juste. Te prendre des coups ne te faisait pas peur, en donner non plus, tu avais de grandes idéologies sans doute, et pourtant, à un moment, quelque chose à changer.

Peut-être ton frère a-t-il inconsciemment était le plus grand objet de ce changement, peut-être que si tu ne l'avais pas vu comme un modèle, adulé par tes parents tu n'aurais pas finalement essayé de changer qui tu étais, pour lui plaire, pour leur plaire. Il y a eu un moment où tu as compris que le monde auquel tu appartenais ne te permettait pas de faire ce que tu voulais, un moment où tu as pris conscience de tes responsabilités, un moment où tu as voulu faire ce qu'il fallait, être celle qu'ils attendaient. Ces années ne font aujourd'hui pas partie de tes meilleurs souvenirs, peu à peu tu t'éteignais, et pourtant tu avais l'impression de progresser, de t'améliorer, tu voyais dans leurs yeux qu'ils appréciaient les efforts que tu faisais. Mais rien n'était assez bien, et il apparu finalement que malgré tes efforts tu n'étais pas au niveau ? Que tu n'étais pas ton frère, que tout ça ce n'était pas toi, que tu ne serais jamais à la hauteur des attentes de ton père concernant son héritage. La pression était forte et si pendant un temps tu fis tout pour ne pas écouter les critiques, pour croire en toi et en ce futur qu'on voulait pour toi,  à force d'êrte rabaissée, toujours comparée, méprisée, tu finis par t'effondrer. Et un beau jour tu claquas la porte, disant adieu peut-être à ce confort financier que tu avais toujours connu mais décidant enfin que cette vie n'était pas celle que tu voulais.

Tu t'étais perdue pourtant, cette flamme qui un jour t'avais animée, cette fougue qui t'avais souvent poussé à prendre le partie de situations désespérées, tout cela s'était éteint et les gens que tu avais autrefois côtoyé étaient nombreux à te tourner le dos désormais. Les années t'avaient changé, les avaient changé, et si le constater te blesser tu sentais aussi que c'était cette nouvelle réalité que tu devais accepter. Et peut-être pour la première foi tu pensas à toi, à ce que tu voulais, à ce que tu aimais, et petit à petit tu compris qui tu étais  et ce qui te faisais vibrer. Pendant quelques années tu disparus, parcourant Netovia, de Nuxwar aux terres de feu, de grande prairie au cap carvanah, prenant du temps pour toi, repoussant sans cesses tes limites, explorant des territoires reculés repoussant les limites du danger, ça te plaisait, ça t'excitait, et tu ne manquait pas non plus parfois de t'arrêter, pour partager, pour écouter, avant de te remettre en route à l'aube vers d'autres contrées. C'est lors de ces explorations que tu croisas la route du fameux Flingouste, qui t'attaquas en traitre alors que tu t'étais arrêtée pour te reposer après des heures à crapahuter. Tu ne le vis pas approcher et d'un coup de pince il manqua de peu de t'arracher le bras. Tu en gardes une pas vraiment belle cicatrice encore aujourd'hui, tu en gardes surtout une haine tenace d'avoir ainsi été attaquée sans la moindre raison et ce n'est sans doute pas une coïncidence si depuis, ou pas si loin que ça, un Toxizap te suit partout.

Il était là d'ailleurs, un peu caché dans l'ombre la première fois que tu l'as, elle, la femme qui allait changer ta vie. Oh t'étais encore bien loin de t'en douter ce jour où vous avez rigolé autour de quelques verres avant de passer la nuit chez toi, tu t'attendais pas forcément à la revoir, ou pas à la revoir aussi souvent. Ca a pris du temps, ça a pris des cri, des engueulades, des portes qui claquent, ça a pris tout ce qu'il a fallu sans que jamais rien ne soit simple ou rien ne semble écrit. Vous aviez deux caractères trop forts peut-être, deux caractères qui ne savaient pas vraiment faire de concessions, deux caractères pourtant qui s'étaient trouvés et qu'une énième étincelle fini par lier à jamais. Ca aurait pu être un jeu, ça scella finalement les choses, sans au fond changer grand chose. Lors d'une énième engueulade où il était question de ton incapacité à t'attacher, de cette volonté que tu avais de toujours être libre, sans filets, elle t'a balancé que tu ne serais jamais capable de l'épouser. Le défi de trop, le meilleur moyen de finalement t'enchaîner, t'as pas forcément réfléchi avant de répondre oui, avant de se jeter sur cette énorme perche qu'elle te tendait. T'as jamais regretté, même si ça t'arrives pourtant de lui dire le contraire quand t'es énervé tu l'as jamais véritablement pensé.

Alors ouai, pour elle t'as remis en peu en question tes grands principes d'indépendance, que tu le veuilles ou non tu dépendais d'elle de toute façon, t'étais bien obligée de te rendre à l'évidence. Tu sais pas comment elle a fait, tu sais pas comment elle fait tout les jours, et tu lui diras probablement jamais mais t'aime l'avoir à tes côtés, t'aimes la retrouver comme t'aime parfois la quitter, quand ton boulot t'entraînes loin d'elle de temps à autre, t'es pas contre, ça te permet aussi de souffler, t'en as besoin tu penses pour que votre couple puisses durer, t'es pas du genre à rester coller. Vous avez vos vies, qui ont réussi à plus ou moins s'emboiter, vous avez vos secrets aussi et c'est très bien ainsi. Elle t'a parlé des Boréal un peu, t'as refusé de te laisser embarquer, ça aurait pu te plaire pourtant, y'a des idées que tu entends, que tu comprends, mais t'es clairement pas prête à faire confiance à autant de gens, à faire partie d'un groupe comme ça, à leur jurer allégeance et d'autres conneries comme ça. Et peut-être que ça t'effraie un peu parfois, ce qu'elle fait là-bas avec ces gens-là, qu'elle dépende d'eux comme ça. Tu préfèrerais que ce soit juste elle et toi et t'es prête à montrer les crocs pour ça.